par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, 10-24007
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
4 novembre 2011, 10-24.007

Cette décision est visée dans la définition :
Aléatoire




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu que par acte du 29 novembre 2005, M. X... a assigné M. Y... en paiement de la somme 1 753 163,70 euros qu'il soutenait lui avoir prêtée entre 1995 et 1997 ; que M. Y... a soulevé l'exception de jeu ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 15 juin 2010) de déclarer son action irrecevable, alors, selon le moyen :

1°/ que la loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari ; qu'après avoir exactement énoncé qu'il appartenait à M. Y... de rapporter la preuve que les fonds prêtés étaient destinés au jeu, la cour d'appel a retenu que cette preuve se déduisait de ce que les sommes prêtées étaient importantes et qu'il s'agissait d'espèces ; qu'il ne résulte pas de telles circonstances que les sommes prêtées l'avaient été pour le jeu ; qu'en se prononçant par des motifs inopérants à établir que les fonds prêtés étaient destinés au jeu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1965 du code civil ;

2°/ qu'en se fondant sur la "seule énormité de la somme prêtée constituée exclusivement par la remise de sommes en espèces", pour en déduire qu'il s'agissait de fonds destinés au jeu, la cour d'appel a statué par un motif d'ordre général et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que les juges du fond doivent constater expressément que les fonds prêtés étaient destinés au jeu et ne peuvent se fonder sur une simple présomption ; qu'en énonçant, pour débouter M. X... de ses demandes, que l'énormité de la somme remise était un indice suffisant pour affirmer qu'il s'agissait de fonds destinés au jeu, et que M. X... était dans l'incapacité d'invoquer quelle autre cause aurait pu justifier la remise de telles sommes, la cour d'appel a violé l'article 1965 du code civil ensemble l'article 1315 du code civil ;

4°/ qu'en tout état de cause, la loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari ; que le prêt d'une somme d'argent n'est pas une dette de jeu ; que l'article 1965 du code civil concerne uniquement les rapports de ceux qui ont participé au jeu et refuse au gagnant l'action contre le perdant ; qu'en retenant l'application de l'article 1965 du code civil à une action qui visait le remboursement d'un prêt d'argent, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1965 du code civil ;

5°/ qu'en tout état de cause, l'article 1965 du code civil ne s'applique pas aux contrats de prêt sans affectation des fonds ; que le créancier ne peut se trouver privé de son action en paiement du seul fait que l'emprunteur a décidé d'affecter au jeu à son insu les sommes empruntées ; que la reconnaissance de dette du 20 juillet 1997 ne comportait aucune indication de la destination des fonds ; qu'à considérer même que M. Y... ait utilisé les fonds pour jouer, cette utilisation ne pouvait être opposée à M. X... pour le priver de son action en paiement, sauf à constater qu'il connaissait l'usage qui serait fait des fonds ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1965 du code civil ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 1965 du code civil, la loi n'accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d'un pari ; que la cour d'appel a constaté que du mois d'octobre 1995 à celui de mai 1997, M. Y... avait signé chaque mois un acte dans lequel il reconnaissait avoir reçu une somme en espèces de M. X... pour ses besoins personnels et s'engageait à la rembourser au plus vite et que ces actes avaient été récapitulés dans une reconnaissance de dette générale signée des deux parties le 20 juillet 1997, par laquelle M. Y... s'était reconnu débiteur de la somme de 11 500 000 francs majorée des intérêts capitalisés jusqu'au 31 juillet 1997 au taux de 10 % l'an ; que l'arrêt retient exactement que la cause de l'obligation de M. Y... énoncée dans cet acte est présumée exacte et qu'il lui incombe de démontrer que le prêteur ne lui a pas versé la somme litigieuse ou que ce prêt lui a été consenti pour jouer ; qu'au titre des circonstances permettant de caractériser l'existence d'une dette de jeu, les juges ne se sont pas bornés à se référer à l'énormité de la somme globale prêtée, constituée exclusivement par la remise de sommes en espèces, mais ont en outre fait état, par motifs propres et adoptés, de l'établissement de reconnaissances de dette mensuelles sur une longue période, de ce que M. Y... était un joueur ainsi que du fait que, si M. X... contestait l'être également, l'une des attestations produites indiquait pourtant qu'il s'était adonné aux jeux d'argent et ont ajouté que celui-ci n'avait pu d'ailleurs justifier de l'origine des fonds qui lui auraient permis de prêter des sommes considérables, sa déconfiture au moment des faits étant avérée par l'existence d'une procédure collective, tout en constatant enfin qu'il ne pouvait prétendre avoir ignoré la destination des sommes litigieuses ; que la cour d'appel, ayant dans ces conditions jugé qu'il était établi qu'il s'agissait de fonds destinés au jeu, ayant permis à l'emprunteur aussi bien de payer ses dettes que de continuer à jouer en dehors d'un établissement dans lequel le jeu est régulièrement autorisé, en a à juste titre déduit que M. Y... était en droit à se prévaloir de l'article 1965 du code civil interdisant toute action pour une dette de jeu ; que le moyen, qui manque en fait en ses deuxième et cinquième branches, n'est fondé en aucun de ses griefs ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour M. X....

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'action de Monsieur X... irrecevable ;

AUX MOTIFS QUE la cause de l'obligation de Monsieur Y... énoncée dans la reconnaissance de dette du 20 juillet 1997 est présumée exacte ; que dès lors qu'il prétend que son obligation de rembourser n'existe pas, ou que la cause de celle-ci est illicite, il lui incombe de démontrer que le prêteur ne lui a pas versé la somme litigieuse ou que ce prêt lui a été consenti pour jouer ; que les reconnaissances mensuelles de dette sur une aussi longue période, l'énormité de la somme globale prêtée constituée exclusivement par la remise de sommes en espèce sont des indices suffisants pour confirmer qu'il s'agissait de fonds destinés au jeu, ayant permis à l'emprunteur aussi bien de payer ses dettes de jeu que de continuer à jouer et ceci en dehors d'un établissement dans lequel le jeu est régulièrement autorisé ; que si Monsieur X... conteste lui-même être joueur, il ne peut contester que tel était bien le cas de Monsieur Y... alors qu'il est dans l'incapacité d'invoquer quelle autre cause aurait pu justifier la remise de telles sommes à celui qu'il prétend être son débiteur ; qu'il ne peut donc pour les mêmes motifs prétendre avoir ignoré la destination de celles-ci ; que par conséquent il importe peu de rechercher si ces sommes ont été réellement remise par Monsieur X... à Monsieur Y... et si ce dernier a apuré sa dette à l'égard de celui qui était véritablement son créancier, dès lors qu'il est fondé à se prévaloir de l'article 1965 du code civil interdisant toute action pour une dette de jeu ;

1) ALORS QUE la loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari ; qu'après avoir exactement énoncé qu'il appartenait à Monsieur Y... de rapporter la preuve que les fonds prêtés étaient destinés au jeu, la cour d'appel a retenu que cette preuve se déduisait de ce que les sommes prêtées étaient importantes et qu'il s'agissait d'espèces ; qu'il ne résulte pas de telles circonstances que les sommes prêtées l'avaient été pour le jeu ; qu'en se prononçant par des motifs inopérants à établir que les fonds prêtés étaient destinés au jeu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1965 du code civil ;

2) ALORS QU'en se fondant sur la « seule énormité de la somme prêtée constituée exclusivement par la remise de sommes en espèces », pour en déduire qu'il s'agissait de fonds destinés au jeu, la cour d'appel a statué par un motif d'ordre général et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3) ALORS QUE les juges du fond doivent constater expressément que les fonds prêtés étaient destinés au jeu et ne peuvent se fonder sur une simple présomption ; qu'en énonçant, pour débouter Monsieur X... de ses demandes, que l'énormité de la somme remise était un indice suffisant pour affirmer qu'il s'agissait de fonds destinés au jeu, et que Monsieur X... était dans l'incapacité d'invoquer quelle autre cause aurait pu justifier la remise de telles sommes, la cour d'appel a violé l'article 1965 du code civil ensemble l'article 1315 du code civil ;

4) ALORS QU'en tout état de cause, la loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d'un pari ; que le prêt d'une somme d'argent n'est pas une dette de jeu ; que l'article 1965 du code civil concerne uniquement les rapports de ceux qui ont participé au jeu et refuse au gagnant l'action contre le perdant ; qu'en retenant l'application de l'article 1965 du code civil à une action qui visait le remboursement d'un prêt d'argent, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1965 du code civil ;


5) ALORS QUE, en tout état de cause, l'article 1965 du code civil ne s'applique pas aux contrats de prêt sans affectation des fonds ; que le créancier ne peut se trouver privé de son action en paiement du seul fait que l'emprunteur a décidé d'affecter au jeu à son insu les sommes empruntées; que la reconnaissance de dette du 20 juillet 1997 ne comportait aucune indication de la destination des fonds ; qu'à considérer même que Monsieur Y... ait utilisé les fonds pour jouer, cette utilisation ne pouvait être opposée à Monsieur X... pour le priver de son action en paiement, sauf à constater qu'il connaissait l'usage qui serait fait des fonds ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1965 du code civil.



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Aléatoire


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.