par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 20 octobre 2010, 09-68997
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
20 octobre 2010, 09-68.997

Cette décision est visée dans la définition :
Arbitre




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Vu l'article 1482-2° du code de procédure civile, ensemble l'article 1452, alinéa 2, du même code ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que le recours en annulation contre la sentence est ouvert si le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé et du second que l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties et ne peut, en ce cas, accepter sa mission qu'avec leur accord ;

Attendu que la société Somoclest bâtiment a conclu avec la société DV construction un contrat de sous-traitance incluant une clause compromissoire comportant une liste de quatre arbitres au choix ; qu'un litige étant survenu, M. X... a été désigné en qualité d'arbitre unique, a accepté sa mission après avoir indiqué être régulièrement désigné comme arbitre par ce groupe de sociétés et a déposé sa sentence le 10 février 2008 ; que la société Somoclest a formé un recours en annulation reprochant en particulier à l'arbitre de n'avoir pas informé les parties de ce qu'il avait déjà été désigné à cinquante et une reprises en qualité d'arbitre par les sociétés du groupe ;

Attendu que, pour rejeter le recours en annulation, l'arrêt attaqué retient, d'abord, que, lors de sa désignation, M. X... avait indiqué être régulièrement désigné pour régler des différends opposant, en matière de sous-traitance, des sous-traitants à diverses sociétés du groupe Bouygues et que la société Somoclest avait admis, à ce moment là, que cela était sans incidence sur l'indépendance ou l'impartialité de l'arbitre, puis, que la société Somoclest n'a sollicité aucune explication complémentaire ni émis aucune réserve au cours de l'arbitrage, ensuite que cette société ne pouvait se prévaloir d'un arrêt du 29 janvier 2004 pour prétendre n'avoir appris que postérieurement à la reddition de la sentence la multiplicité des arbitrages réalisés par M. X... dès lors que cet arrêt avait été publié avant le début du litige, encore que le consentement de la société Somoclest au contrat et à la clause, comportant le nom de quatre arbitres susceptibles d'être désignés, n'avait pas été vicié, enfin, que cette société, en participant à l'arbitrage alors qu'elle savait que l'arbitre effectuait régulièrement des missions à la requête des sociétés du groupe Bouygues, devait être considérée comme ayant renoncé implicitement aux irrégularités qu'elle invoque ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le caractère systématique de la désignation d'une personne donnée par les sociétés d'un même groupe, sa fréquence et sa régularité sur une longue période, dans des contrats comparables, ont créé les conditions d'un courant d'affaires entre cette personne et les sociétés du groupe parties à la procédure de sorte que l'arbitre était tenu de révéler l'intégralité de cette situation à l'autre partie à l'effet de la mettre en mesure d'exercer son droit de récusation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mai 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;

Condamne la société DV construction aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société DV construction à payer à la société Somoclest batiment la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par de la SCP Defrenois et Levis, avocat aux Conseils pour la société Somoclest bâtiment

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société Somoclest de son recours en annulation de la sentence du 10 février 2008 ;

AUX MOTIFS QUE- « selon l'article 1484 2° du code de procédure civile, la sentence arbitrale peut faire l'objet d'un recours en annulation si le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l'arbitre unique irrégulièrement désigné.

Par lettre du 17 juillet 2007, M. Patrick X... a informé les parties de son accord pour être désigné en qualité d'arbitre en ces termes : « mon nom figurant depuis 1995 parmi ceux des arbitres mentionnés aux contrats de sous-traitance de ce type et, à ce titre, ayant été régulièrement saisi par l'une des parties à ces formes de contrat pour régler les différends opposant diverse sociétés du groupe Bouygues à leurs sous-traitants, le litige dont je suis saisi ce jour rentrant dans le cadre de la clause compromissoire, par la présente et conformément aux dispositions de l'article 1452 du nouveau code de procédure civile, je vous confirme mon accord quant à ma désignation ». L'acte de mission signé par les parties le 24 juillet 2007 mentionne en son article 1er que le nom de M. Patrick X... figure depuis 1995 parmi ceux des arbitres mentionnés aux contrats de sous-traitance de ce type.

Si la mention portée dans l'acte d'émission de l'arbitre est générale et peu explicite notamment sur la fréquence effective des interventions de M. X... en qualité d'arbitre dans les litiges opposant les sociétés du groupe Bouygues à leurs sous-traitants, en revanche, les renseignement figurant dans le courrier adressé à toutes les parties valant convocation à la première réunion qui s'est tenue le 24 juillet 2007, que la société Somoclest Bâtiment ne conteste pas avoir reçu, étant observé qu'elle a participé à cette réunion ce qui laisse présumer qu'elle en a bien été destinataire, sont clairs et dépourvus de toute ambiguité : M. X... indique qu'il est régulièrement désigné pour des missions d'arbitrage dans ce type de litige. Il a ainsi respecté son obligation de révélation et a permis aux co-contractants d'apprécier en connaissance de cause l'existence ou non d'un motif de récusation.

Alors qu'elle avait connaissance de l'intervention régulière de M X... en qualité d'arbitre pour régler les différends survenus entre des sociétés du groupe Bouygues et leurs sous-traitants, la société Somoclest Bâtiment n'a sollicité de celui-ci aucune explication complémentaire et n'a émis aucune réserve ni lors de la signature de l'acte de mission ni au cours des réunions contradictories auxquelles elle a participé. C'est vainement qu'elle s'appuie sur l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 29 janvier 2004 pour soutenir qu'elle n'aurait appris que postérieurement à la sentence arbitrale la multiplicité des arbitrages réalisés par M X... de sorte qu'elle n'aurait pas été en mesure de faire valoir le motif de récusation plus tôt. En effet, cet arrêt a été publié plusieurs mois avant la survenance du litige. A aucun moment aux cours de la mission d'arbitrage elle n'a émis la moindre réserve sur l'impartialité de l'arbitre dont elle a accepté de proroger la mission.

Aucune pièce du dossier ne permet de retenir que M. Patrick X... aurait travaillé pour le compte de sociétés du groupe Bouygues en qualité de maître d'oeuvre ou de conseiller en assistance de chantiers.

La clause compromissoire, comportant le nom de quatre arbitres susceptibles d'être désignés figure dans le contrat de soustraitance signé par la société Somoclest Bâtiment qui n'allègue aucune contrainte ayant vicié son consentement laquelle ne peut résulter de la seule affirmation qu'elle n'aurait pas été en mesure de prendre suffisamment connaissance des conditions du contrat alors qu'elle a disposé d'un délai de dix jours et procédé à diverses modifications de sorte qu'elle soutient en vain que le nom de l'arbitre lui aurait été imposé par la société DV Constructions.

En participant activement à l'arbitrage, alors qu'elle savait que l'arbitre effectuait régulièrement des missions à la requête des sociétés du groupe Bouygues et qu'elle a été à même de mesurer l'importance et la fréquence de ces interventions en cours d'arbitrage, sans soulever devant l'arbitre le grief de son absence d'indépendance, la société Somoclest Bâtiment doit être considérée comme ayant renoncé implicitement aux irrégularités qu'elle invoque. Il lui appartenait de remettre en cause la désignation de l'arbitre avant de connaître la teneur de la sentence. le recours en annulation ne peut suppléer la carence du recourant dans l'exercice de son droit de récusation en temps utile » ;

ALORS QUE, d'une part l'arbitre est tenu de révéler aux parties toutes circonstances de nature à faire naître un doute légitime sur son indépendance et son impartialité ; en conséquence, lorsque l'arbitre est habituellement saisi par l'une des parties ou les sociétés de son groupe, il doit informer les parties du nombre exact de ces désignations ;

ainsi en considérant que M. X... aurait respecté son obligation de révélation en se bornant à indiquer qu'il était « régulièrement » saisi par l'une ou l'autre des parties de litiges opposant les sociétés du groupe Bouygues à leurs sous-traitants, quand il n'est pas contesté que M. X... avait été désigné comme arbitre par des sociétés du Groupe Bouygues dans 51 procédures d'arbitrage, la cour d'appel a violé les articles 1452 et 1484 2° du code de procédure civile ;

ALORS QUE, d'autre part, l'arbitre est tenu de révéler aux parties toutes circonstances de nature à faire naître un doute légitime sur son indépendance et son impartialité ; ainsi en considérant que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 janvier 2004, par lequel la société Somoclest a appris fortuitement, après la reddition de la sentence litigieuse, le nombre exact d'arbitrages dans lesquels M. X... avait été désigné, aurait été publié plusieurs mois avant la survenance du litige, la cour d'appel a fait peser sur les parties une obligation de se renseigner sur les circonstances de nature à affecter l'indépendance de l'arbitre, en violation des articles 1452 et 1484 2° du code de procédure civile ;


ALORS QUE, enfin, la désignation du même arbitre au cours de 51 procédures d'arbitrages opposant les sociétés d'un même groupe à leurs sous-traitants affecte par principe l'indépendance de cet arbitre ; ainsi en refusant d'annuler la sentence du 10 février 2008 quand M. X... avait été désigné comme arbitre dans 51 procédures d'arbitrage opposant des sociétés du même groupe que la société DV Constructions à leurs sous-traitants, la cour d'appel a violé l'article 1484 2° du code de procédure civile.



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Cette décision est visée dans la définition :
Arbitre


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 10/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.