par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. plen., 6 juillet 2001, 98-17006
Dictionnaire Juridique

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Cour de cassation, assemblée plénière
6 juillet 2001, 98-17.006

Cette décision est visée dans la définition :
Compétence




Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 2, 15 mars 1995, Bull. n° 89), que M. X..., placé en 1955 et 1956 en hôpital psychiatrique, a par actes des 30 avril 1985 et 4 mai 1985, assigné l'Etat en réparation du préjudice subi du fait de ces internements qu'il estimait abusifs ; qu'il a formé appel du jugement ayant déclaré irrecevable son action contre l'Etat qui lui avait opposé la déchéance quadriennale instituée par l'article 9, modifié, de la loi du 29 janvier 1831 ; que le préfet d'Ile-de-France a décliné la compétence judiciaire pour statuer sur la fin de non-recevoir ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli ce déclinatoire, alors, selon le moyen, que l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que la demande de M. X... en réparation du préjudice subi par deux internements abusifs était fondée sur des faits constitutifs d'une atteinte à la liberté individuelle, ce qui entraînait la compétence du juge judiciaire pour l'ensemble de la procédure, y compris les exceptions ; qu'il s'ensuit que le préfet ne pouvait élever le conflit dans l'instance soumise à la cour d'appel, relative à l'éventuelle prescription de la créance indemnitaire sur l'Etat de M. X..., de sorte qu'en estimant néanmoins que l'article 136 du Code de procédure pénale n'était pas applicable à l'exception de la déchéance quadriennale et en déclarant, dès lors, recevable le déclinatoire de compétence, la cour d'appel a violé les articles 66 de la Constitution de 1958 et 136 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 5.1, 5.5 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que la fin de non-recevoir tirée de la déchéance de la créance avait été seule débattue devant la cour d'appel, l'arrêt retient exactement qu'il n'a pas été statué à ce stade de l'instance, sur des faits constitutifs d'une atteinte à la liberté individuelle ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. X... reproche encore à la cour d'appel de s'être déclarée incompétente pour statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'agent judiciaire du Trésor, alors, selon le moyen :

1o que dans le cas d'une action en responsabilité contre l'Etat, le fait générateur de la créance n'est pas le fait dommageable, mais la décision d'une juridiction de l'ordre judiciaire constatant l'existence de la créance et fixant son montant, de sorte que le point de départ de la prescription de quatre ans est la décision de justice ; qu'il s'ensuit que la prescription n'avait pas couru en l'espèce et que la loi du 31 décembre 1968 était applicable. En excluant l'application de cette loi pour se déclarer, sur le fondement de la loi du 29 janvier 1831, incompétente pour statuer sur l'exception de déchéance quadriennale opposée par l'Etat à l'action en responsabilité engagée contre lui, la cour d'appel a violé les articles 1, 8 et 9 de la loi du 31 décembre 1968 ;

2o que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir ; qu'en opposant à M. X... la déchéance quadriennale prévue par l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, au motif qu'il avait la possibilité, au cours des quatre années ayant suivi son dernier internement, d'engager une action en responsabilité contre l'Etat, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sans s'expliquer sur le fait, rappelé par M. X..., que rien ne permettait à un particulier, avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 1978, d'avoir accès aux dossiers administratifs, et qu'il avait, jusqu'à cette époque, ignoré non seulement la nature exacte des fautes commises à son égard, mais également l'identité de leurs auteurs, ce qui lui interdisait toute action, même conservatoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 ;

Mais attendu qu'aux termes de son article 9, la loi du 31 décembre 1968 est applicable aux créances nées antérieurement à la date de son entrée en vigueur et non encore atteintes de déchéance à cette même date ; que la déchéance commence à courir le premier jour de l'année au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué ; que la cour d'appel, qui a, à bon droit, fixé le point de départ du délai de la déchéance quadriennale à la fin des mesures d'internement, a fait une exacte application de la loi du 29 janvier 1831 modifiée, dès lors applicable, en accueillant le déclinatoire de compétence du préfet ; que le moyen, qui n'est donc pas fondé en sa première branche, est inopérant en sa seconde ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu les articles 49 et 378 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence doit surseoir à statuer lorsqu'elle a à connaître de moyens de défense relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction ;

Attendu que la cour d'appel, qui s'est déclarée incompétente pour statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le Trésor public, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

Qu'en statuant ainsi, alors que par l'effet dévolutif de l'appel, elle était saisie de la totalité du litige concernant l'Etat et qu'elle devait surseoir à statuer, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions renvoyant les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt rendu le 27 juin 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que l'instance est suspendue devant la cour d'appel de Versailles saisie jusqu'à la décision de la juridiction administrative sur la question préjudicielle.

MOYENS ANNEXÉS

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable le déclinatoire de compétence du préfet d'Ile-de-France,

AUX MOTIFS QUE l'article 136 du Code de procédure pénale n'est pas applicable à l'exception de déchéance quadriennale, seule débattue devant la Cour, le débat relatif à des " faits constitutifs d'une atteinte à la liberté individuelle " étant toujours pendant devant le tribunal de grande instance ;

ALORS QUE l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que la demande de M. X... en réparation du préjudice subi par deux internements abusifs était fondée sur des faits constitutifs d'une atteinte à la liberté individuelle, ce qui entraînait la compétence du juge judiciaire pour l'ensemble de la procédure, y compris les exceptions ; qu'il s'ensuit que le préfet ne pouvait élever le conflit dans l'instance, soumise à la cour d'appel, relative à l'éventuelle prescription de la créance indemnitaire sur l'Etat de M. X... ; qu'en estimant, néanmoins, que l'article 136 du Code de procédure pénale n'était pas applicable à l'exception de déchéance quadriennale, et en déclarant, dès lors, recevable le déclinatoire de compétence, la cour d'appel a violé les articles 66 de la Constitution de 1958 et 136 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 5.1, 5.5 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué de s'être déclaré incompétent pour statuer sur l'exception de déchéance quadriennale opposée par le Trésor public, et d'avoir renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

AUX MOTIFS QUE, certes, la Cour de cassation a considéré, dans le présent litige, que le point de départ du délai de prescription de la créance était le jugement qui en constate l'existence, de sorte qu'en l'espèce, la prescription n'avait pas couru ; que, cependant, le Tribunal des conflits estime que le point de départ de la prescription est le premier jour de l'année au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué ; qu'il convient donc, en l'espèce, d'adopter cette solution ; que M. X... ne justifie pas avoir été empêché d'engager son action en responsabilité contre l'Etat avant l'expiration du délai de déchéance ; qu'il s'ensuit que l'application de la loi du 31 décembre 1968 est exclue, et que seul le tribunal administratif est compétent, en application des dispositions de la loi du 29 janvier 1831, pour connaître de l'exception opposée par le Trésor public ;

ALORS, D'UNE PART, QUE, dans le cas d'une action en responsabilité contre l'Etat, le fait générateur de la créance n'est pas le fait dommageable, mais la décision d'une juridiction de l'ordre judiciaire constatant l'existence de la créance et fixant son montant, de sorte que le point de départ de la prescription de quatre ans est la décision de justice ; qu'il s'ensuit que la prescription n'avait pas couru en l'espèce et que la loi du 31 décembre 1968 était applicable ; qu'en excluant l'application de cette loi pour se déclarer, sur le fondement de la loi du 29 janvier 1831, incompétente pour statuer sur l'exception de déchéance quadriennale opposée par le Trésor public à l'action en responsabilité engagée par M. X... contre l'Etat, la cour d'appel a violé les articles 1, 8 et 9 de la loi du 31 décembre 1968 ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir ; qu'en opposant à M. X... la déchéance quadriennale prévue par l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831, au motif qu'il avait la possibilité, au cours des quatre années ayant suivi son dernier internement, d'engager une action en responsabilité contre l'Etat, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sans s'expliquer sur le fait, rappelé par M. X..., que rien ne permettait à un particulier, avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 1978, d'avoir accès aux dossiers administratifs, et qu'il avait, jusqu'à cette époque, ignoré non seulement la nature exacte des fautes commises à son égard, mais également l'identité de leurs auteurs, ce qui lui interdisait toute action, même conservatoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, après avoir déclaré que la cour d'appel était incompétente pour statuer sur l'exception de déchéance quadriennale opposée par le Trésor public, renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

AUX MOTIFS QUE seul le tribunal administratif est compétent pour connaître de l'exception opposée par le Trésor public ;

ALORS QUE le juge qui reconnaît l'existence d'une question préjudicielle n'est pas dessaisi, et doit surseoir à statuer au fond, en attendant la décision de l'autorité compétente sur la question préjudicielle ; qu'il appartenait donc, en l'espèce, à la cour d'appel de surseoir à statuer, l'instance étant seulement suspendue en attendant la décision sur l'éventuelle déchéance quadriennale ; qu'en renvoyant les parties à mieux se pourvoir, et en mettant ainsi fin à l'instance, la cour d'appel a violé les articles 49, 378 et 379 du nouveau Code de procédure civile.



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Cette décision est visée dans la définition :
Compétence


Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 11/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.